Par une matinée que l’on aurait aimée plus printanière, direction Les Pourrets, à L’Abergement de Rosay, sur le premier plateau.
De petites routes sinueuses encadrées de verdure nous conduisent dans ce hameau dont le nom renverrait à une époque où cet endroit aurait servi à entreposer les corps des victimes d’une bataille ayant eu lieu à proximité. Des corps en décomposition, des pourris… Mais ce n’est là que la tradition orale et « cela ne m’empêche pas d’avoir de beaux légumes » sourit Fred.
Frédéric Dehlinger vit ici depuis 2012. Après un parcours dans la fonction publique, changement de vie pour opérer pratiquement et physiquement ce tournant vers une société et des pratiques plus « responsables ». Sa réflexion l’a amené à se former à la forge et à en créer une dans le corps de ferme en pierre qu’il restaure peu à peu. Car le forgeron permet la création d’objets utilitaires, réparables, réalisés à partir de matière première brute ou recyclée. Comme ces pointes de charpentiers devenues décapsuleurs ou ustensiles à barbecue.
Aucun panneau directionnel pour indiquer ce coin du Jura qui pourrait aussi porter le nom du « Bout du monde » ou du « Paradis ». Aucune enseigne non plus pour inciter à s’arrêter à L’Atelier de L’Arbre-Lune. Et pour cause, elle attend d’être posée, voire terminer, dans un coin de l’atelier.
Ce matin donc, aux chants des oiseaux nous ayant accueilli, aux sons de la forge électrique, au bruit du marteau sur l’enclume, viennent s’ajouter de furtifs « clac » et « clic ». Isabelle, photographe, Christa, plasticienne, sont venues à l’aveugle, sur notre invitation, passer un temps en immersion à la forge afin de voir si ce lieu et ses ambiances pouvaient donner matière à des créations.
Moi, je saisis l’instant. Les bruits. Les odeurs. Les mots. Avant d’y mettre les miens.
Les échanges, discrets au début, deviennent plus techniques. Tout y passe : le lien entre l’art et l’artisanat. Le processus de création. A moins que ce ne soit de la réalisation ?… L’autosuffisance. Le monde actuel et les émotions qu’il suscite.
Installée dans un coin, j’essaye de me faire oublier et enregistre de temps à autres des sons, des mots, accompagnée par le bruissement des pas et le travail de Maxime, en formation depuis 6 semaines au GRETA, venu reprendre une pièce dans l’atelier de menuiserie au-dessus de la forge.
Que sortira-t-il de cette matinée ? Des créations, peut-être. Des questionnements, sûrement. Des instants suspendus, des souvenirs, à coup sûr.
Vendredi 24 mai 2024,
L’Abergement-de-Rosay
Adeline, Cueilleuse de mémoires